Comment devient-on champion du monde ?
Cette question pourrait sembler incongrue ou inopportune tant obtenir un tel titre est extra-ordinaire. Comme si il pouvait y avoir une recette ! Mais, néanmoins, pour avoir eu ce privilège, j’ai pris le temps d’analyser ce que nous avions mis en œuvre, lorsque nous le sommes devenus, par deux fois, avec l’équipe de France de 100km, en 2000 et 2001. Je vous livre ici les éléments de cette réflexion.
Certes les deux titres de champion du monde et celui de champion d’Europe remportés par notre équipe de France en quelques années (2000 à 2002) montrent bien le niveau de performance physique, exceptionnel de ce groupe. En effet, la somme des temps réalisés par les 6 meilleurs français (6 car c’est le nombre de coureurs qui composent l’équipe nationale) durant cette période est la meilleure de tous les temps. Jamais, même à la grande époque des Bellocq, Vuilemenot, Gack, Curton le niveau des meilleurs français n’avait été tel. Et jamais il ne l’a été de nouveau depuis. on peut donc parler, preuve à l’appui d’une génération exceptionnelle au niveau de ses performances. Une année, la meilleur d’ailleurs (1999) j’étais 6ème français avec un temps de 6h51’25 ». Une performance qui m’aurait permis d’être numéro un au bilan national lors de 9 autres années !
Bilans 100km du top 6 France
Toutefois, le niveau des capacités physiques de chaque coureur et la densité exceptionnelle de performance durant ces périodes ne suffit pas à expliquer ce succès lors des compétitions internationales.
Ce que je retiens de cette période unique pour l’histoire de l’équipe masculine de France de 100 km, c’est l’extraordinaire esprit qu’il y avait entre nous. Et c’est la leçon que j’ai retenu de cette aventure humaine et sportive que j’ai eu le privilège de connaître. Cette réussite unique m’a amené à entreprendre une réflexion sur les ressorts qui permettent cette réussite collective. La nôtre mais aussi celles des autres comme l’équipe de France de Football ou de Hand qui sont des modèles remarquables de réussite au plus haut niveau mondial.
Chacun à sa place
Ce que j’en ai déduit c’est que ce qui a fait la force et la différence de notre groupe, sa singularité, c’est la cohésion et l’état d’esprit qui prévalait.
D’abord nous avions un leader. Pascal Fétizon. Un athlète charismatique mais surtout humble et accessible. Le meilleur athlète au monde dans sa discipline mais néanmoins capable de se mettre au service de l’équipe. Et ceci est essentiel. Car avoir un athlète avec un tel niveau et un tel esprit permet de créer de la cohésion et de la force dans le groupe. Il n’avait pas besoin de parler. Ce n’était d’ailleurs pas vraiment son truc de s’ériger en chef ou de parler à tous. Son attitude humble et simple au regard de ses performances suffisait à imposer le respect et à en faire un modèle à suivre.
Ensuite il y avait des lieutenants de très haut niveau capable de finir sur un podium mondial mais capable aussi de se mettre au service du collectif de respecter la hiérarchie établie dans le groupe. De ne pas vouloir être meilleur que le meilleur. Calife à la place du Calife. Chacun reste à la place qui est la sienne car chacun connaît et accepte son niveau. Chacun sait ce qu’il a à faire.
Un exemple de cet état d’esprit c’est Thierry Guichard, vice-champion du monde en 1999. Bien qu’il faut parmi les meilleurs coureurs du monde avait une grande estime et un énorme respect pour Pascal. et comme celui-ci était humbl et qu’il ne cherchait pas à écraser la concurrence, permettait par cette attitude respectueuse envers les autres membres de l’équipe de créer ce climat de respect mutuel. Indispensable pour faire une grande équipe.
Enfin il y avait les grognards comme moi qui permettaient à l’équipe d’être systématiquement classée car nous allions jusqu’au bout de la course quand les meilleurs pouvaient parfois prendre des risques en visant le classement individuel ou pour performer. Des bons soldats qui accomplissaient leur tâche avec l’esprit du collectif car les lieutenants et le leader étaient dans le même état d’esprit.
Qui d’ailleurs n’est pas incompatible avec la performance individuelle. Ma place de 15ème aux championnats du monde 1999, la 11ème en 2002, en sont la preuve. Et les classements des autres membres de l’équipe lors de différentes compétitions, également.
Bien ensemble
Nous avions plaisir à nous retrouver ensemble. Chacun respectait l’autre dans sa différence, sa spécificité et ce qu’il apportait à l’équipe. Nous n’avions pas conscience de tout cela et c’est d’ailleurs une des clés de la réussite. Tout ceci était spontané et naturel. Les stages étaient des périodes de retrouvailles attendues. Les compétitions, des moments intenses de partages, de soutien, d’échanges. D’ailleurs, j’entretenais des liens avec beaucoup de mes camarades de l’équipe de France en dehors de nos périodes de rassemblments. Car c’est bien là une des problématiques des sélections nationales. Comment faire cohabiter des égos qui, tout au long de l’année, sont les meilleurs, chez eux, afin qu’ils soient des (simples) maillons d’une chaine quelques jours ou quelques semaines ?
De plus, si l’état d’esprit de chacun est fondamental, l’encadrement a une part importante dans ce processus. Un homme comme Camille Viale, savait fédérer les énergies à l’image d’un Didier Deschamps en football, d’un Olivier Krumbholz en Hand-Ball.
La faculté de gérer des athlètes en sélection nationales et de les mener vers les sommest, relève des mêmes compétences qu’un chef d’équipe dans une entreprise ou d’un dirigeant avec ses salariés.
Des traits communs
Ces caractéristiques on les retrouve (toutes proportions gardées et, bien entendu, sans chercher comparer les sports) dans l’équipe de France de foot championne du monde.
Zidane fut un leader à la Fétizon. Il était le meilleur joueur au monde mais il laissait la place à chacun. Une humilité qui, au final, impose le respect et en a fait un modèle. Comme Pascal, un leader presque malgré lui. Car le leader qui étouffe ou qui écrase n’est pas un bon chef de file.
Il était complété par des joueurs comme Didier Deschamps, Lilian Thuram qui tenaient la baraque. Des « tauliers », leaders emblématiques dans leur club mais capable de se mettre au service du collectif en acceptant de ne pas être forcément les plus en vue.
Et enfin des joueurs moins connus qui cimentaient ce groupe exceptionnel. Chacun à sa place dans ce projet collectif. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Il faut un projet collectif mais aussi l’adhésion de tous à celui-ci pour que le groupe allie au plus haut niveau. Et cela s’obtient grâce aux vertus décrites plus haut.
Et si tout cela était possible c’est avant tout car ces gens-là s’appréciaient, se respectaient avaient plaisir à se retrouver ensemble. Le désastre des équipes suivantes a été causé par des egos surdimensionnés. On peut reprendre le même exemple avec l’équipe de France de handball. Jackson Richardson et Nikola Karabatic étaient des leaders charismatiques mais il y avait autour d’eux cette même cohésion, ce même respect des uns et des autres. Toutes les caractéristiques décrites précédemment et qui font la force d’un groupe.
Ce n’est pas la somme des individualités qui fait cette force.
« Une équipe est performante lorsque sa force collective est supérieure à celle de ses talents individuels » (Didier Deschamps)
Analyser pour recommander
Avec le recul, j’ai analysé pourquoi nous avions réussi et pourquoi nous sommes parvenus à tout gagner durant ces années. Compris quels étaient les facteurs qui nous ont permis de réussir en les croisant avec les autres sports. C’est intéressant de les connaitre. A la fois afin de les recommander et de montrer ce modèle dans mes interventions diverses. Dans le management d’équipe en sport bien entendu mais aussi en entreprise où les modes de fonctionnement à utiliser peuvent (et doivent, même, selon moi) être identiques. Il est donc bon de les comprendre afin de les mettre en œuvre à son tour. Mais aussi pour mieux apprécier, avec le recul, ce privilège que j’ai eu de vivre cette extraordinaire aventure avec ce groupe. Et, sans être nostalgique, de goûter au plaisir de me souvenir avec encore plus de plaisir de ces moments uniques.
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Bravo et merci Bruno. Une très belle analyse, des exemples qui nous parlent.
Et un parallèle fort et juste avec le monde de l’Entreprise.
J’aime aussi beaucoup toutes les photos que t’as choisies